Histoire des Chasseurs de Prinkères
LES CHASSEURS DE PRINKERES ET LEURS FANFARES.
Prinkère, tout d’abord, signifie « hanneton » en français.
Les chasseurs de prinkères, ce sont donc des chasseurs de hannetons.
Description de « la bête » :
Le hanneton (Melolontha melolontha), aux élythres bruns et durs, a été longtemps considéré comme un insecte ravageur des cultures et des arbres.
Le jour, il est engourdi sur les feuilles des arbres, et au coucher du soleil, il s’envole pour aller se nourrir. Vorace, il dévore les feuilles. Son vol est particulier : lourd et bruyant.
La femelle pond ses œufs (plus d’une vingtaine) sous la terre. Les larves (vers blancs) s’y développent en trois ans, se nourrissant des racines des cultures. Au printemps, les insectes apparaissent en masse, vers la mi-mai, lorsque la température est plus élevée.
Les ravages qu’ils occasionnent (racines, jeunes pousses, feuilles, etc…) ont amené les autorités à organiser leur destruction systématique. On trouve des descriptions de famines au moyen-âge, suite à l’appétit des vers blancs.
Pourquoi chasser le hanneton ?
Les hannetons ont des prédateurs naturels, ce sont les hérissons, rapaces nocturnes, oiseaux, mulots. Ceux-ci n’ont cessé de diminuer en nombre.
Avant l’apparition des insecticides, il fallait régulièrement, au printemps, capturer et détruire les insectes. A chacun sa méthode. Les enfants les faisaient tomber des arbres pour les récolter dans un tissu et les mettre dans des seaux. Il ne restait plus qu’à les ébouillanter ou y mettre le feu.
Ainsi est né le « hannetonnage », la chasse aux hannetons.
En France, certaines municipalités payaient cher le boisseau de hannetons, en sorte que les meilleurs chasseurs-récolteurs pouvaient gagner des sommes non négligeables, tout en protégeant leurs cultures. Les femmes et les enfants ramassaient systématiquement les vers blancs derrière la charrue.
Tout est prétexte à la « zwanze »
Puisque les enfants et les adultes étaient régulièrement mobilisés pour la destruction des hannetons « aller à la chasse » se transformait en jeux, en parties de plaisir. Sadiques, de préférence…
Le plus connu consistait à attacher un fil à la patte de la bête, la laisser s’envoler et attendre que l’oiseau la mange ou que sa patte soit arrachée.
En France, certains instituteurs, au milieu du 19ème siècle, autorisaient les enfants à jouer à la récréation avec leurs hannetons accrochés à la ficelle et les encourageaient à en ramener un maximum. Certains embrochaient plusieurs hannetons volant ensemble afin de fabriquer un « moteur » Monde cruel !
A la même époque, les Bruxellois, qui ont toujours affectionné la « zwanze », la bonne blague, entrent en scène. Le terrain de chasse est ucclois, circonscrit autour de la place St-Job…
Du hannetonnage aux « chasseurs de prinkères »
Dans le « woordenboek van de Brabantse dialecten/deel II » on découvre plusieurs surnoms pour les hannetons et les cinq les plus utilisés sont « mulder » « meikever » preekheer » « predikant » et « molenaar » « Meikever », c’est « le scarabée » le « coléoptère » de « mai » (les vers blancs devenus jeunes hannetons sortent de terre à mi-mai pour prendre leur envol). En Alsace, le hanneton est appelé « Feldmaikäfer » équivalent de « meikever » en flamand.
Le nom de « prinkère » vient de « preekheer » et « predikant » le « prêcheur » Car celui-ci, costumé, ressemble à un hanneton, l’occasion était trop belle de se moquer ainsi des hommes d’église en les comparant à un insecte ravageur. Louis Quiévreux expliquait que selon Joe Diricx de ten Hamme, l’enfant enveloppait le hanneton dans un cornet de papier (ou une boîte d’allumettes ) en ne lui laissant libre que les deux premières pattes et la tête. La bestiole gesticulait ainsi comme un prédicateur dans sa chaire. Chez les vieux flamands « preekheer » signifie un Dominicain, un prêcheur, les marolliens en ont fait « prinkère » Les gosses chantaient un refrain qui avait le pouvoir de faire voler le hanneton qu’ils tenaient prisonnier par un fil :
« Vleege, vleege, meuleke,
Da bichke go no’t meuleke
Over de zokke
Over ons Leevrâ kerkhof! »
qui signifie:
«vole, vole, petit moulin,
cette petite bête va au petit moulin,
au-dessus des sabots, au-dessus des chaussettes, au-dessus du cimetière de Notre-Dame »
(L. Quiévreux : Dictionnaire du dialecte bruxellois).
Il existe une variante, plus courte, plus directe :
« Vleege, vleege, meuleke,
da bichke goe no’t meuleke
In de Beulestroet, in de Beulestroet »
La Beulestraat signifie la rue du Bourreau, qui habitait dans la rue du Faucon, dans les Marolles. Lorsque le hanneton s’envolait, les enfants criaient : « mussche, mussche », pour appeler les moineaux qui attrapaient les insectes en plein vol ».
Les sociétés de chasseurs de prinkères, leurs lieux de réunions.
Il y en eut plusieurs à Bruxelles. Leur but était d’organiser leur pèlerinage à Saint-Job le 15 mai, juste après celui du 10 en l’ancienne église.
Dans le quartier maritime, le chef de la fanfare, Rooses, était agent de la police auxiliaire de Molenbeek. Pitje Baeck , de Koekelberg, tenait le cabaret « au Kasta Knokkele » et ce lieu était un local du régiment des chasseurs de prinkères. En ce café étaient conservés le drapeau et les fusils de bois de la section locale. Ce qui, durant l’occupation allemande de 1940-45 donna l’idée à un farceur de leur jouer un bon tour. Ceux-ci furent prévenus par lettre anonyme que le vieil estaminet était un dépôt d’armes de la Résistance. Ils y firent une descente tapageuse en nombre. Imaginez leur déconvenue... Les autres lieux recensés étaient « chez Tichke » rue Haute, chez « Sus-le-ramoneur » rue de Flandre (lieu de concentration les jours de sortie), chez Rossen Baptist, place Anneessens. Dubreucq signale aussi le cabaret « Saint-Antoine » vers 1895, siège du groupe des chasseurs de prinkères (depuis 1851) au n°51 (puis 41), Marché-Au-Charbon. Il y en eut d’autres, et bien sûr aux alentours de la place Saint-Job à Uccle « L’Abreuvoir », chaussée de Saint-Job. Un tableau nous montre aussi des chasseurs devant « Le Vieux Saint-Job » Enfin, une vieille photo représente quelques clients attablés « chez prinkère », sans mentionner le lieu précis.
Les uniformes et la fanfare des chasseurs
de prinkères.
Outre le fusil de bois porté à l’épaule, leur uniforme consistait en : un sarrau, comme ceux de 1830, c’est-à-dire une blouse bleue, ample, passée sur les vêtements. Ou une tunique à brandebourgs. Un mouchoir rouge autour du cou, qui passait sous le menton dans une boîte d’allumettes (utile pour y mettre les hannetons). Leur shako (ancienne coiffure militaire rigide, à visière, imitée de celle des hussards hongrois) est un chapeau-boule dont la hauteur a été réduite de moitié avec un hanneton en cocarde (il s’agissait en fait d’une touffe). A bien regarder les représentations de la fin du 19è siècle il y avait comme chapeau soit le chapeau-boule normal, soit des casquettes, soit même des chapeaux coloniaux. Tout était bon. Le pantalon était blanc, puis des bottes ou guêtres.
Les chasseurs venus des quatre coins de Bruxelles se dirigent d’abord vers la Grand-Place. Ceux du quartier maritime, des centaines, venus de la rue de Flandre, qui prennent ensuite la rue des Poissonniers, puis rue Auguste Orts.
La fanfare ouvre la marche. Quatre tambours battants et six clairons sonnants, tous les trente-cinq instrumentistes jouent la marche composée par leur chef, Rooses, ou alors « La marche des volontaires », sur laquelle le revuiste Théo Hannon rima pour la Scala un refrain triomphal :
« Le corps des chasseurs de prinkères
Est l’idéal des régiments ;
Si l’armée aux budgets précaires
Cause toujours de durs moments,
Le corps des chasseurs de prinkères
Est l’idéal des régiments ! »
Le tambour-major qui ouvre la marche a un bonnet à poils. Il est suivi, à cheval, par le colonel, Sus Mahieu. Plus quatre solides gaillards, deux à droite et à deux à gauche, formant les gardes du corps. Ils proviennent du quartier maritime. Sans oublier le garde-champêtre au bicorne classique, deux médecins-majors et un infirmier aux tuniques galonnées et aux chapeaux emplumés, ainsi qu’une cantinière très maquillée ; en fait un cabaretier de la rue Piers, qui place deux chapeaux-boules en guise de poitrine et qui porte en bandoulière le tonnelet contenant le médicament de la compagnie, à savoir du genièvre qui n’est délivré qu’aux hommes reconnus par les deux médecins comme atteints de la plus grave des maladies, la soif ! L’ambulance suivait le service de santé pour recueillir ceux qui avaient trop soif ou trop soiffé.
En route !
Toutes les compagnies se dirigent vers la Grand’Place où le bourgmestre De Mot Les reçoit pour leur souhaiter un bon voyage et une bonne chasse, du balcon de l’Hôtel de Ville. Comme remerciements, chacun chante la «Brabançonne»
Le cortège se met en route, rue des Chapeliers, de la Violette, la Vieille Halle-au-Blé, la rue Haute, Porte de Hal, chaussée de Waterloo pour rejoindre la place Loix en fin de matinée. Là, le colonel abandonne son cheval et se mêle à ses hommes. Pour continuer à pieds jusqu’à Uccle. Par après, il y eut des trams, conduisant à Uccle-Saint-Job, ce qui permettait de gagner de précieuses heures de routes.
En chemin, il y a des haltes répétées dans les divers cafés. A la Bascule, ils font une halte avant de repartir en direction du Bois, chez Moeder Lambic et Moeder Kramiek, chaussée de Waterloo. Puis, enfin, le Vert Chasseur, le Vivier d’Oie. Avant de redescendre vers Saint-Job. Là, un banquet les attendait dans les nombreuses guinguettes. Le faro, la gueuze et le genièvre achevaient peu à peu tous les corps de l’armée des chasseurs de prinkères . Après de nombreuses scènes délirantes, les vaillants chasseurs s’endormaient, là où ils étaient tombés, attendant le lendemain pour prendre la route de retour. En prenant soin de ramener quelques hannetons pour leurs enfants ou leur épouse.
Selon Hannon, le chasseur de prinkères chantait :
« Souvent la chasse est semblable à la guerre,
Mais avec nous jamais de sang versé,
Point d’agonie et le naïf prinkère
En souriant a trépassé !... »
En fait, la chasse aux hannetons ne servait que de prétexte à d’abondantes libations dans les cafés et guinguettes entre la ville et Saint-Job. Les sociétés de chasseurs ucclois avaient la grande chance d’être sur place. Si vous leur demandez combien de hannetons furent capturés ou abattus avec les fusils à bouchons, ils seraient bien incapables de vous répondre. La seule façon de voir les « bichkes », c’est de boire beaucoup…
Dubreucq a représenté, dans un de ses ouvrages, un drapeau de chasseurs de prinkères : deux fusils, un cor de chasse, deux hannetons. Il signale également différents lieux de chasseurs de prinkères, « A Saint-Antoine », rue marché-aux-charbons, rue de la Plume (place du jeu de balle) le « cercle des Jeunes Chasseurs de prinkères », fondé en 1865 et scindé en deux en 1875. En 1900 leur président s’appelait Joseph Forton. Le colonel étant Louis Duchêne.- rue du pays de Liège et aussi rue du Vautour au café « La Petite Presse »
Les successeurs des chasseurs de prinkères à Uccle.
Dans les années 1970, des Ucclois ont tâché de remettre à l’honneur le défilé des chasseurs de prinkères. Les bergspelers, de la Montagne-St-Job, par exemple. La RTB a consacré un reportage à ce thème. Une chanson a été créée à l’époque : « la ronde des prinkères ». Le dernier bergspeler, musicien, a apporté son aide à la création d’une nouvelle « fanfare des chasseurs de prinkères » après les années 2010. Avec comme répertoire essentiellement les chansons bruxelloises comme « luup luup luup de gardevil ès doe » « mie katoen » « une espagnole de la Marolle » « la ronde des prinkères » « viva m’boma »…
Les sources consultables à propos des chasseurs de prinkères.
1°) De Louis Quiévreux (qui n’a pas laissé apparaître son nom) et R.Dessart : « Les mémoires de Jef Lambic »
2°) Louis Servais, dans « Souvenirs de mon vieux Bruxelles », consacre un chapitre entier aux « chasseurs de prinkères »
3°) Dubreucq: « Uccle, tiroir aux souvenirs », volume 2, pages 286-287
4°) Dubreucq : « Bruxelles, une histoire Capitale », tome 9, page 255
Jacques Hirschbühler, 2017.